lundi 20 juillet 2009

Ysengrin fait moine - La tonsure d'Ysengrin




Ysengrin entend et comprend bien
I


sengrin ot et entent bien
que quoi qu'il puisse dire
il n'entrera pas dans la maison de Renart.
Que voulez-vous ? il devra s'en passer,
néanmoins il lui demande
un morceau de viande :
« Allez, donnez-moi juste un tronçon,
je ne le demande pas seulement pour goûter,
mais quel bonheur d'avoir pêché
et écorché ces anguilles
si vous consentez à en manger. »
Renart, qui sait fort bien flatter,
prend deux tronçons d'anguille
qui rôtissent sur les charbons.
Elle est tellement cuite qu'elle s'émiette,
et toute la chair se détache.
Il en mange un, et apporte l'autre
à celui qui est à la porte.
Alors il dit : « Compère, approchez
un peu, et prenez ainsi
de cette pitance, par charité,
de la part de ceux qui ont toute confiance
que vous serez moine un jour. »
Ysengrin dit : « Je ne sais pas encore
ce que je serai, ça peut bien se faire;
quant à cette pitance, très cher maître,
donnez la moi vite. »
Renart lui donne, et il la prend
et s'en acquitta aussitôt;
il en mangerait bien plus encore.
Renart lui dit : « Comment ça vous semble ? »
Le glouton frémit et tremble,
il brûle de gourmandise :
« Vraiment, fait-il, seigneur Renart,
vous serez bien récompensé pour cela,
donnez-m'en donc encore un,
très cher compère, pour m'encourager
à rentrer dans votre ordre.
— Par mes bottes, lui dit Renart,
qui est tellement plein de malice,
si vous vouliez devenir moine,
je ferais de vous mon maître,
car je sais bien que les seigneurs
vous éliraient comme prieur
avant la Pentecôte, voire comme abbé.
— Me dites-vous la vérité ? »
Renart répond : « Oui, cher seigneur,
sur ma tête, j'ose bien vous le dire,
vous feriez un bel ecclésiastique,
une fois que vous auriez revêtu la robe
par-dessus votre pelisse grise.
Il n'y aurait pas de si beau moine dans l'église.
— Aurai-je suffisamment de poisson
jusqu'à ce que je sois rétabli
de ce mal qui m'a abattu ? »
Et Renart lui répond :
« Mais autant que vous pourrez en manger.
— Alors faites-moi tonsurer. »
Renart dit : « Plutôt, raser et tondre. »
Ysengrin se met à grogner
quand il entend parler de raser :
« S'il n'y a pas d'autre moyen, fait-il,
compère, rasez-moi vite. »
Renart répond promptement :
« Vous aurez une couronne grande et large,
si ce n'est que l'eau doit être chauffée. »
Vous allez maintenant entendre un joli tour.
Renart met l'eau sur le feu,
et la fait bien bouillir.
Puis il revient vers lui
et lui fait passer la tête
par un trou à côté de la porte.
Ysengrin tend le cou.
Renart qui le prend vraiment pour un sot,
lui renverse l'eau bouillante
d'un coup sur la tête.
Il en a vraiment trop fait, quelle sale bête !
Alors Ysengrin secoue la tête,
montre les dents, fait mauvaise mine,
se retire à reculons,
puis s'écrie : « Renart, je suis mort,
qu'un malheur vous arrive aujourd'hui même !
Vous m'avez fait une trop grande tonsure. »
Renart lui tire une langue
d'un bon demi-pied hors de la gueule :
« Seigneur, vous n'êtes pas le seul à l'avoir
car tout le couvent l'a pareillement. »
Ysengrin dit : « Je crois que vous mentez.
— Non, seigneur, ne vous tracassez pas,
mais en cette première nuit
il convient de vous mettre à l'épreuve,
comme le saint ordre nous le commande. »
Ysengrin dit tout bonnement :
« Je ferai tout ce qui relève de l'ordre,
n'en ayez aucune crainte. »
Renart a maintenant la garantie
qu'il ne lui fera aucun mal,
et qu'il se comportera selon ses conseils.
Renart l'a si bien manœuvré
qu'il l'a complètement dupé.
Alors il va tout droit vers Ysengrin,
qui se plaint fortement
parce qu'il est rasé de trop près,
et que ni poil ni cuir n'est resté.
Sans en dire plus ni s'attarder,
tous deux s'en vont d'ici
Renart devant et l'autre après,
jusqu'à ce qu'ils arrivent près d'un étang.


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Qu'en la meson Renart por rien
Qu'il puisse dire n'enterra.
Et que volez ? si souferra,
Et neporquant il li demande
.I. seul morsel de sa viande :
« Car m'en donnez .I. sol tronçon !
Nel di se por essaier non.
— Mes bon fussent eles peschies
Les anguilles et escorchies,
Se vos en daingnïez mengier. »
Renart qui bien sot losengier
Prist des anguilles .II. tronçons
Qui rostissent sor les charbons.
Tant fu cuite que toute esmie,
Et desoivre toute la mie.
L'un en menja, l'autre en aporte
A celui qui est a la porte,
Lors dist : « Compere, ça venez
.I. poi avant et si tenez
Par charité de la pitance
A ceus qui bien sont a fiance
Que vos serez moines encore. »
Dist Ysengrin : « Je ne sai ore
Quel je seré, bien porra estre,
Mes la pitance, biau doz mestre,
Que me bailliez isnelement. »
Renart li baille et il la prent,
Qui mout tost en fust delivrez,
Encor en menjast il assez.
Ce dist Renart : « Que vos en semble ? »
Li lechierres fremist et tranble,
De lecherie esprent et art :
« Certes, fet il, sire Renart,
Cil vos ert bien guerredonnez.
Encore .I. seul car m'en donnez,
Biau doz compere, por amordre
Tant que je fusse de vostre ordre.
— Par nos botes, ce dit Renart
Qui mout fu plains de males ars,
Se vos volïez moines estre,
Je feroie de vos mon mestre,
Car je sai bien que li seignor
Vos esliroient a prior
Ainz Pentecoste, ou a abé.
— Avez me vos dit verité ? »
Renart respont : « Ouil, biau sire,
Par mon chief je vos os bien dire,
En vos aroit bele persone
Quant avrïez vestu la gonne
Par desus la pelice grise ;
N'aroit si biau moine en l'iglise.
— Avroie je poisson assez
Tant que je fusse respassez
De cest mal qui m'a confondu ? »
Et Renart li a respondu :
« Mes tant con vos poriez mengier.
— Donques me faites rooingnier. »
Et Renart dit : « Mes rere et tondre. »
Ysengrin conmença a grondre,
Quant il oï parler de rere :
« Or n'i a plus, fet il, compere,
Mes reez moi isnelement. »
Renart respont hastivement :
« Avroiz coronne grant et lee,
Ne mes que l'eve soit chaufee. »
Oïr pouez ici biau gieu :
Renart mist l'iave sor le feu
Et la fist trestoute boillant.
Puis li est revenuz devant,
Et sa teste encoste de l'uis
Li fet bouter par .I. pertuis,
Et Ysengrin estent le col.
Renart qui bien le tint por fol,
L'eve boillant li a jetee
Desus la teste et reversee.
Mout par a fet que male beste.
Et Ysengrin escoust la teste
Et rechine et fet lede chierre.
A reculons se tret ariere,
Si s'escria : « Renart, mort sui.
Male aventure aiez vos hui !
Trop grant coronne m'avez faite. »
Renart li a la langue traite
Bien demi pié fors de la geule :
« Sire, ne l'avez mie seule,
Que autresi l'a li couvenz. »
Dist Ysengrin : « Je cuit que menz.
— Non faz, sire, ne vos anuit,
Mes iceste premiere nuit
Vos covient il metre en esprove,
Que la sainte ordre le nos rove. »
Dist Ysengrin : « Mout bonnement
Feré ce que a l'ordre apent.
Ja mar en serez en doutance. »
Renart en a pris la fiance
Que par lui mal ne lor vendra,
Et a son los se maintendra.
Tant a fait et tant a ovré
Renart que bien l'a asoté,
Et vint a Ysengrin tot droit
Qui durement se complaingnoit
De ce qu'il estoit si pres res,
Que cuir ne poil n'i est remés.
N'i ot plus dit ne sejorné,
Andui se sont d'ilec torné,
Renart devant et cil aprés,
Tant qu'il vindrent d'un vivier pres.
Comment Renart fit Ysengrin moine Si conme Renart fist Ysangrin moine (3)
Notes de traduction (afficher)

3 commentaires:

  1. 1053 : "s'écrit" à corriger par "s'écrie".

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  2. 974 : "quoiqu'il puisse dire" à corriger par "quoi qu'il puisse dire".

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  3. C'est corrigé. Merci d'avoir signalé les fautes.

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